04 novembre 2023

Les chansons « à texte » jouer sur un harmonica


La remarque désabusée revient souvent dans les conversations des harmonicistes :

« On ne peut pas jouer les musiques des chanteurs « à texte » car elles sont composées de répétitions à l’identique et à l’infini. »

Petite remarque en passant :

Les répétitions de thèmes existent aussi chez Mozart ou Beethoven, c’est même fait « exprès » à charge de respecter les nuances indiquées et pour le chef d’orchestre de leur donner vie liée et indépendante.

Force est cependant de constater que l’harmoniciste moyen travaille souvent sans partition voire à partir de véritables squelettes.

Reste alors à tenter de les muscler en utilisant les symboles musicaux existants et les moyens de l’instrument à charge d’ inventer les symboles manquants.

Reprenons :

le texte d’une chanson est constitué de couplets différents, eux même composés de phrases différentes, elles-mêmes composées de mots différents, tout cela arrangé afin de fournir un sens et une émotion différents à chacun d’eux.

En fait, c’est un poème et, dire un poème, c’est comprendre et exprimer chaque phrase et aussi les inscrire dans l’ensemble.

Comme on l’enseigne aux enfants, c’est leur appliquer à bon escient les multiples expressions verbales, tonales, visuelles, gestuelles, etc. que fournit la langue, l’image corporelle, la voix, et que le sens du texte demande. Le sens en tant qu’image mais aussi sensation.

Pour la musique, c’est pareil d’autant que la plupart de ces expressions se concentrent sur l’oreille et l’écoute et s’il est difficile de trouver des partitions élaborées, il est plus facile de trouver le texte des chansons et donc de s’en inspirer pour situer les nuances et effets qu’il inspire à chacun.

Seulement voila, quelles sont donc ces expressions qui permettent à l’harmonica de transmettre l’interprétation et les nuances:

En effet, une interprétation, ce n’est pas seulement une traduction « à sa sauce » selon sa personnalité et les sensations du moment des notes écrites, plus ou moins modifiées, accompagnées de quelques effets plus ou moins répétitifs.

L’harmoniciste n’est pas pour autant perdu, les musiciens ont dans l’histoire largement contribué à coder ces expressions, par exemple :



Comme cela a déjà été dit sous un angle purement technique, revoyons sous un aspect plus sentimental quelques expressions que proposent l’instrument et le souffle avec leurs possibilités propres, à charge de mettre chacune au bon endroit au bon moment suivant la pénétration du morceau dans l’émotion de chaque interprète avec sa culture, sa technique et son humeur du moment.

Tout d’abord : Le cornet

Réalisé par les mains en cavité de chaque côté de l'instrument sans , bien sûr, lâcher le piston, elles font une diffusion de pavillon qui amplifie le son vers l'auditoire, et modifie le timbre de l'instrument. Il peut illustrer la colère, le refus, amplifier un crescendo, un moment tonitruant.

la sourdine:

c'est l'inverse, les mains en conque autour du l'harmonica restent fermées et produisent un effet de trompette bouchée tout en atténuant le son. Outre son utilisation pour le jazz, on peut lui faire exprimer des mélodies d'interrogation, d'intériorisation voire de tristesse comme dans le blues.

le vibrato , ou plutôt les vibratos .

Le wha/wha

c'est un vibrato de mains. Placées en conque autour de l'instrument, elles obscurcissent le son (sourdine).

L'ouverture de l'une d'elle restitue le son normal au rythme des ouvertures / fermetures. Utilisable avec bonheur, comme la trompette wha-wha, dans certains passages jazzy cette expression peut vite devenir une mauvaise habitude.

Le souffle :

c'est le vibrato du diaphragme, lent et puissant.

Il peut être utilisé en fin de phrase ou en fin de morceau pour exprimer le départ, l’éloignement la dilution.

La gorge :

Ou plutôt l'arrière-gorge. C'est le vibrato de : GH GH GH haché,

régulier et quelque peu brutal qui peut exprimer le rire sarcastique, la moquerie, le défi.

La langue :

Premier geste de la langue dont l’extrémité se meut de bas en haut ou transversalement suivant la dextérité de chacun . Ce geste constitue un vibrato ouverture/fermeture du trou utilisé et ressemblant à une modulation d’oiseau peut illustrer la joie, le rire cristallin, la source, le vol léger.

Second geste de la langue, les deux bords contre les dents, elle se meut en son milieu et donc, de haut en bas à une fréquence très contrôlable qui permet d’exprimer la légèreté, la douceur, la brise, le fil de l’eau comme un sifflement modulé.

Le menton

Il produit des vibrations de basse fréquence modulées par la cavité buccale et son effet d'écho et se réalise en mouvementant la mâchoire de bas en haut et vice et versa. Sa lenteur permet d’exprimer le mouvement lent et lourd, la sérénité, le repos.

L'accordéon :

il consiste en un déplacement transversal de la langue sur trois ou quatre alvéoles qu’elle obstrue successivement faisant ainsi intervenir les notes voisines illustrant la danse, le mouvement léger, la gaieté commune.

L'altération (modulation) :

c'est le grand jeu des harmonicas diatoniques, techniquement difficile et qu'on obtient en distordant le souffle dans le mouvement « TIUUUU iuuuu iuuuu», Il permet aussi sur les harmonicas diatoniques de créer les notes manquantes .Sur un chromatique, s'il est très bref c'est un effet de relance et s'il est lent, une période indécise, l’inquiétude, le soupçon, l’anomalie, le trouble.

L'altération par demi ton:

il s'agit là d'ajouter une note altérée dans le texte, c'est un coup de piston, bref pour une transition, c'est l'appogiature.

Plus lent et répété, c'est la trille au piston. On peut en trouver l’indication dans la partition même. Elle valorise l'effet de discordance et d'angoisse, un moment suspendu, une indécision , un besoin d’obtenir la suite ou de clore une séquence. C'est aussi une note à intégrer à la rythmique du morceau.

La prononciation :

c'est le /o /u /a / i / ou tout autre onomatopée « parlée » dans l'instrument qui a le même effet que la diction dans le poème, le son de la note en amplifiant l’expression.

Les roulés :

Ils correspondent aux roulés des dialectes régionaux c'est : rouler les R ….RRR qui crée un effet de roucoulement, de séduction, appuyant les crescendos.

La résonance :

Pour jouer le son juste le réflexe naturel est de serrer (et crisper) les joues. Il faut les détendre, relâcher la mâchoire du bas amplifiant ainsi la caisse de résonance constituée par la cavité buccale. Le son sera plus ample et plus rond comme un son d'orgue et un peu comme une « réverbération de pédale ».

Les frappés :

En frappant l'harmonica on souligne la rythmique dans un timbre un peu comme celui du banjo. C'est un effet de rupture qui hache la mélodie et image des danses de bottes, des rappels d’attention.

Les notes piquées, les piqués de la langue C'est le TH TH TH comme crachant un pépin.

La technique va de la projection directe de la langue dans le trou de l'embouche au toucher de la langue en haut du palais en passant par la touche de l'arrière des dents.

Ils marquent les notes parfois encadrées de silences, martelant le thème avec un sentiment de sauvagerie, de tempête, de force mais, réalisés avec légèreté, ils illustrent aussi la danse enfantine, le bruit de basse-cour, la futilité, la décontraction, l’oubli. Ils permettent aussi de bien distinguer des notes identiques et successives.

Le jeu à l'octave :

Il consiste à emboucher largement l'instrument puis à boucher avec la langue les trous centraux laissant ainsi libres les deux trous de l'octave. Par exemple DO, emboucher le Do 1, le Mi, le Sol et le DO 2 puis boucher Mi et Sol avec la langue. On a là un jeu d’orgue, une amplitude du son, un sentiment de solennité, d’orchestre, de sérieux.

Pour illustrer tout cela, écoutez Monsieur Toots THIELEMANS dans « lullaby »,réécoutez pour bien discerner les effets qu’il pratique puis réécoutez encore pour percevoir l’image et le sentiment que vous donne chaque effet, chaque séquence et, si vous ne voyez pas la libellule éclore et s’envoler au-dessus de l’eau, réécoutez de nouveau.

En guise de conclusion :

Quand faut' il placer telle ou telle expression ?

C'est vous qui voyez !Bien qu'elles donnent de l'âme à votre interprétation , il ne faut pas en abuser et c'est à vous de sentir quand une expression donnera une émotion à votre auditoire .

François Bocciarelli