29 septembre 2021

Jouer face à un public avec son groupe d'harmonicistes


« Face au public, le temps se dilate et on perçoit toutes les sonorités comme dans un film au ralenti, vraiment toutes, comme sur un écran qui s’étend et on sent les émotions que les écoutants renvoient, les bulles d’impalpable qui, aussi, modifient le jeu, imperceptiblement. »

 

Ça a déjà été dit et c’est facile à dire, mais quand  le trac nous a taraudé tout l’après-midi avant la prestation, est-ce vraiment jouissif d’y être enfin ?

Je vais d’abord te raconter une petite histoire et ensuite nous ferons du troc pour échanger le trac contre quelques trucs.

Invité impromptu et pratiquement à la dernière minute pour participer à un concert de pros du clavier, profs de musique et tout et tout, pour une démonstration d’harmonicas, j’avais, pendant les quelques jours disponibles, bossé le morceau par petits bouts, bossé l’instrument, révisé les effets praticables au petit poil, interrogé le compositeur même défunt et réduit considérablement mon régime alimentaire.

Ce fut pire encore qu’imaginé.

Je me suis retrouvé dans cette église grande comme une cathédrale avec des sons qui reviennent de partout, seul au milieu de rien.

Et ce fut plus stressant encore quand j’ai appris que l’équipe technique : « sonoriste », « vidéaste », « caméraman », « éclairagiste », que j’avais pourtant pris grand soin de saluer avec respect, étaient surtout les techniciens habituels d’une célèbre émission de télévision nationalement diffusée.

J’ai alors senti ma casquette s’enfoncer sur mes yeux. La claque ! Qu’est-on venu faire sur cette terre ? C’était le bon endroit pour se poser la question ! Et pourtant, j’avais bien respecté le code de la route en venant !

Une église chargée d’écoutants ajoutés à 80 choristes, pour l’instant silencieux. Quelle aventure !

Et, dès la première note, le temps s’est dilaté, tous les détails des sons émis et aussi des retours, y compris les toux étouffées sont devenus perceptibles ; jusqu’au geste fugace qui tourne légèrement un bouton au pupitre sono, jusqu’au pouce du chef de spectacle qui s’élève discrètement sur un clin d’œil complice à la presque fin du morceau, jusqu’à ces trois secondes de silence qui marquent la vraie fin.

Je l’ai fait ! Oubliés le travail et les tensions, le trac et l’intestin totalement grêle. Petit moment et inoubliable souvenir.

C’est sûr que beaucoup peuvent faire beaucoup mieux mais, c’était bon pour moi ; on n’est pas des pros non plus !

Comment gérer tout ça ?

D’abord ce qui est  évident :

Joue ce que tu connais, comme tu l’as étudié et répété et comme tu le connais ; ce n’est pas le moment de bricoler ou d’inventer.

1) Dans la coulisse, détends tes muscles, fais quelques sauts légers, les pieds joints, les bras ballants, détends ton cou et tes épaules.

2) Au repos, debout, respire lentement à fond et expire idem plusieurs fois, par le nez par exemple.

3) Installe-toi debout sous les lumières, prends conscience de celles qui gênent et de celles qui te sont utiles et suffisantes.

4) Prends ton temps pour installer le pupitre et la partition bien en place et assurés (courants d’air, marche qui essaie de tout faire tomber, passage possible d’un quidam futile, voisinage d’un collègue envahissant …)

5) Vérifie que ton harmonica est chaud dans tes mains, cajole un peu, communique en confiance avec ce compère, ce complice, c’est ton prolongement musique comme tu es le sien, installe une solitude à deux.

6) Inspecte la salle silencieuse, efface là surtout si elle est éclairée, considère qu’elle est un grand environnement rouge qui passe par le bleu pour finir en vert lagon.

7) Ferme les yeux et concentre-toi sur le calme et le film du morceau que tu t’est fait au cours des répétitions.

8) Mets l’instrument chaud dans ta bouche en bonne position, conforte ce contact avec ce vieux complice tactile, fais lui confiance, dis le lui, mais doucement, il y a le micro.

9) C’est parti, sens les vibrations, déguste les expressions, sens l’envoi des émotions vers la salle et les bouffées de chaleur qui en viennent, c’est une offre, un partage.

10) C’est la fin, garde ton instrument dans tes mains devant toi, sur ta poitrine, au plus près, avant le retour au calme d’origine que tu vas obtenir en respirant lentement et profondément plusieurs fois, prends ton temps.

11) Dis-toi merci à toi-même et à ton instrument sans juger de quoi que ce soit et conserve-le en mains.

12) Prends les réactions du public pour ce qu’elles sont, n’y ajoute pas d’affects.

13) Quand tu sens qu’ils sont satisfaits, salue et quitte le ring.

14) C’est le moment d’une analyse personnelle à froid avant les commentaires directs des amis, concurrents, auditeurs etc...

15) Laisse le débat se dérouler et ne retient d’abord que ce qui te fais plaisir, note simplement les points à perfectionner que tu verras plus tard.

16) Fais attention à prendre à leur juste valeur les considérations dithyrambiques des flatteurs et faux culs divers qui, d’ailleurs, se les servent souvent à eux-mêmes ; la « melonite * » est une maladie sur aiguë et difficile à soigner tant pour celui qui la transmets que pour celui qui la reçoit.

(*prendre le melon, la grosse tête)

 

Article : François BOCCIARELI